top of page

Collectif 

transcription

 

 

[musique intro]

 

Le collectif c’est quoi ? Est-ce que c’est un lieu ? Un lieu de travail, un lieu de vie ? Les deux ? Est-ce que les lieux et les conditions matérielles dans lesquelles on se regroupe sont choisis ou subis ? Comment les conditions matérielles impactent nos manières d’entrer en relation ? Est-ce que l’espace peut influencer la manière dont les groupes se sentent, se comportent, se définissent ? 

Toutes ces questions, on les a abordées par exemple avec Clément au Quartier Libre des Lentillères. 

 

[Clément :] Encore une fois c’est le contexte qui permet qu’on ait une manière d’être qui est possible ici mais quand on retourne à l’extérieur dans des appartements etc cette manière d’être elle n’est pas possible en fait. C’est aussi ça qu’il faut se dire, c’est que c’est l’environnement qui a été construit, l’environnement relationnel, les possibilités, le fait que ça soit complètement ouvert ça permet de déployer des manières d’être qui sont d’habitude plus difficiles à déployer de manière plus conséquente et en nombre et ça ce n’est pas rien quoi. C’est vraiment les conditions matérielles qui déterminent - c’est un peu Marxiste ça - c’est les conditions matérielles, donc l’agencement des habitations, le jardin qui est là, etc. qui conditionnent une manière d’être sociale. Et en même temps ça circule dans un sens ou dans un autre, ça boucle et ça c’est pas rien en fait.

 

Il faut savoir que Clément adore les livres, il a lu beaucoup d'écrits théoriques sur le travail, l'écologie, l'anthropocène et bien d’autres choses ! 

Quand il parle du marxisme, c'est pour parler de ce courant de pensée fondé par Karl Marx, qui est devenu à la fois un courant sociologique, économique et politique. Clément y fait référence par rapport aux « conditions matérielles d’existence ». Pour Marx ces conditions matérielles d’existence, font référence au lieu où on vit, à la classe sociale, etc., et cela va déterminer la conscience propre de chacun et de chacune. Et pareil à l’échelle du groupe. 

 

[Clément :] Il y a donc bien une ergonomie qui a été mise en place, portée par une éthique qui permet que se déploient des manières d’être et de relationner qui sont non-marchandes et qui énoncent des choses très intéressantes. Et ça, pour moi il faut l’exporter. Donc il faut défendre le quartier parce qu’il est toujours menacé et il faut étendre et il faut faire comprendre… il faut qu'on puisse justement reprendre le concept de « concernement » en fait. Dans quelle mesure cette idée-là elle peut être convaincante aux yeux de pas mal de gens. Moi je l’utilisais beaucoup c’est un peu le concept dévoyé de la propagande par le fait. 

 

Le terme d’ergonomie nous ramène au monde du travail, ou aux activités de travail. C’est l’étude des relations entre les personnes et leurs outils, leurs moyens, leurs méthodes de travail. C’est aussi la recherche d’amélioration de ces relations, par exemple, un milieu ergonomique est un milieu qui permet de travailler en sécurité, confortablement et efficacement. 

Bien sûr, c’est le travail dans un sens très ouvert, pas une activité professionnelle. Aux Lentillères ça englobe même tout le fonctionnement des personnes dans les lieux. 

 

Dans l’association Hameaux Légers la question des espaces collectif et des habitudes qui s’y rapportent est au cœur de leur démarche. 

Un des objectifs de l’association, ça serait de voir fleurir des hameaux légers un peu partout sur le territoire, et de créer un hameau léger pour eux aussi.  

Avant d’arriver dans un gîte à Calorguen, là où on les a rencontré·es, une partie des membres de l’association était installée à Lancieux. C’était un terrain avec plein de petites cahutes et des espaces communs pour les activités de l’association. 

Nolwenn, c’est la graphiste du groupe. Elle apporte aussi ses compétences en auto-construction. Elle est arrivée dans l’association au début du deuxième confinement, en octobre 2020. Elle nous parle de son rapport au collectif.

 

[Nolwenn :] Alors avec ce collectif il y a un truc qui est incroyablement fluide. En fait, je me suis jamais posée de question et au final quand je suis arrivée à Hameux Légers c’était pas vraiment un collectif, enfin c’était un collectif de fait parce qu’on habitait tous ensemble sur place pour travailler. Mais c’était pas une entité collective comme ça peut l’être aujourd’hui. Du coup, à la base c’était plutôt des collègues et puis on partageait l’espace de vie. A Lancieux, la particularité c’était qu’on était vraiment dans des petites cahutes donc on avait la possibilité de s’isoler assez facilement. Puis on avait deux espaces communs distincts ce qui permettait aussi voilà d’avoir l’espace vraiment dédié au travail et l’autre dédié à la détente. J’ai l’impression que du coup cette gestion des relations elle dépend aussi beaucoup de comment le collectif est dans l’espace. Typiquement c’est pas du tout la même chose ici où on est vraiment en mode coloc’, on entend tout des uns des autres, on travaille mi dans nos chambres perso et qui peuvent parfois être un peu intimes mi dans le salon alors que parfois il se passe d’autres choses à côté. 

 

Pour Nolwenn comme pour Clément, les espaces intimes, individuels, personnels, partagés, collectifs se modulent et s'ajustent selon les moments, les personnes et les groupes. 

Pour Clément, cette plasticité de l'espace est en résonance avec la plasticité des relations et des émotions des personnes.

 

[Clement :] La règle de la promiscuité je pense qu’elle joue énormément quant à la manière de se sentir ancré·e ici. Je pense que ça c’est un truc… Et que c’est ce pari-là de s’attacher, ouais de se sentir sans cesse affecté·e, travaillé·e par la présence des uns des autres. Vous voyez comme on a des lieux communs, d’un groupe d’habitants à un groupe d’habitants, de collectif d’habitants. Vous avez vu on a une espèce de base générale donc où on a la cuisine, un salon, et puis il y a toutes nos caravanes ou nos habitats légers qui sont autour et puis on converge sans cesse là-bas et on se retrouve. Ça fait une espèce de vague, ça repart, y a des remous et ainsi de suite c’est sans cesse en train de… C’est sans cesse concentré en cet endroit à un moment puis pour des raisons X ou Y on repart. Moi je pense que y a une envie de venir vivre cette chose-là qui parle et en acte comment elle opère véritablement. 

 

L’agencement de l’espace commun et de l’espace individuel sont deux choses qui se complètent : le collectif dispose d’un espace pour soigner les liens et l’individu dispose d’un espace à soi pour se retrouver. Espaces physique, relationnel et émotionnel sont liés.

On se sent investi·e par le collectif parce qu’on dispose aussi des espaces individuels, et vice-versa. 

 

Pour Nolwenn et Clément, l’espace collectif est un enjeu important, c'est là que se rencontrent les identités et qu'évoluent les relations et les activités collectives. 

Cette question des espace-temps collectifs peut être élargie aux personnes qui n'habitent pas ensemble mais qui partagent un engagement, comme dans le cadre associatif par exemple, dans lequel le collectif doit aussi trouver son rythme, ses propres règles. 

C’est des questions qu’on a pu se poser à Fontaine-Daniel, l’ancien village ouvrier des Toiles de Mayenne. C’est un village de moins de 200 habitant·es et pourtant il y a plusieurs associations au sein du village.  On a posé la question de la gestion des différentes personnalités au sein d’une association à Martine.

 

[Martine :] Alors ça s’est compliqué parce que comme j’ai dû le souligner dans les réunions du collectif de l’association, il y a des problèmes d’ego et de leaders. C’est à dire qu’il faut réussir à échapper au fait de dire « moi je sais ». Parce que bon… C’est Jean Gabin qui disait « À 18 ans j’ai dit je sais je sais » et arrivé à 70 il a dit « je sais que je ne sais pas ». Mais c’est ça, c’est à dire que dans le collectif de l’association, chacun a sa vision, son interprétation, son ego et essaie, consciemment ou inconsciemment je ne sais pas, d’imposer sa vision comme légitimité de son être et de ce qu’il fait. Dans le collectif du village, il y a un autre handicap qui est, là encore, dans la légitimité de ceux qui proposent. Parce que ça peut être jugé trop intellectuel, trop arriviste, enfin c’est pas le terme, les histoires d’argent c’est toujours…. Néanmoins par rapport à un village, et ça j’y crois depuis le début… On obtient la participation ou l’adhésion des uns et des autres en leur racontant une histoire. Mais une histoire qui leur parle, pas l’histoire qu’on a envie de mettre en scène mais l’histoire qui leur parle. Dans le collectif associatif, il faut beaucoup plus de diplomatie peut-être et sans imposer une quelconque loi de parole mais sensibiliser les uns et les autres qu’on peut peut-être agir différemment et pour ça il faut aussi s’impliquer et il faut beaucoup de diplomatie me semble-t-il, mais voilà. 

 

La légitimité qu’évoque Martine, c’est en fait tous les a priori ou les préjugés que les gens peuvent avoir dans des espaces où les gens se connaissent de noms, de réputations, de familles ou encore de bords politiques. Fontaine-Daniel a un passé de village ouvrier, avec des patrons qui ont construit les habitations et les lieux collectifs, de travail et de loisirs. Ça nous renvoie un peu aux conditions matérielles dont parlait Clément en début d’épisode. Les choses ont beaucoup évolué au village, mais, comme ailleurs, les questions de légitimité à agir, à prendre la parole et à prendre des décisions restent complexes.

 

On se demande alors si entre les questions de personnalités et les visions politiques différentes, il peut exister un travail collectif qui tente d’atteindre les objectifs que le groupe s'était fixé. 

Pour reprendre l’exemple de Fontaine Daniel, on retrouve Elise, qui tient l’Épicerie de Fontaine-Daniel. Pour elle, la question des partis politiques n'empêche pas de se retrouver et d’agir ensemble. 

 

[Elise :] Bon même si politiquement je pense que les gens sont pas dupes quand ils viennent à l’épicerie ils le savent dans les produits, dans la littérature qu’on propose aux gens, dans la musique qu’on choisit de mettre à la radio. Mais c’est apolitique ici et c’est important que ça le reste. Parce que, en milieu rural tu vas toucher aussi bien des gens autant d’extrême droite que de l’extrême gauche, des gens qui votent majoritairement républicains et en fait c’est marrant parce que tout ce brassage de gens ce qu’ils cherchent c’est le lien social c’est tout. 

 

Raphaël, membre fondateur de l’association des Amis de Fontaine-Daniel, va dans le même sens quand on lui demande pourquoi l’implication des habitantes et des habitants dans la vie du village de Fontaine-Daniel est importante.

 

[Raphaël :] Bah en premier lieu sans doute pour avoir une multiplication des regards et des points de vue et des, et des paroles et de la diversité, voilà. Ca me fait penser à l’instant à la phrase, est-ce que vous vous rappelez la phrase qu’on a mise en exergue dans Habiter la Terre en poète ? 

 

En 2013, l’association les Cabanons a publié le livre Habiter la Terre en poète avec les contributions de personnes qui ont participé aux Fêtes de la Terre. C’est un livre qui parle d’écologie et, comme son nom l’indique, d’habiter la terre en poète. C’est d’ailleurs grâce à ce livre qu’on a eu envie d’aller là-bas.

 

[Raphaël :] C’est une phrase qui m’a beaucoup marqué. Vous ne l’avez pas remarquée celle-là ? Elle est très courte, c’est vraiment, avant d’entrer dans le livre y’a une phrase qui est « Les êtres humains doivent devenir de plus en plus solidaires et de plus en plus différents. » C’est étonnant cette phrase. En plus elle a été dite par un… bon, enfin je vais pas non plus trop développer, mais, oui, par un philosophe plutôt, on va dire de gauche et il a surpris son monde quand il a parlé comme ça. À gauche on parle de solidarité, on pourrait dire et on met pas l’accent, ou en tout cas il y’a 30 ans - parce que c’est une phrase d’il y a 30 ans - on mettait pas l'accent sur la différence, on mettait l’accent sur la solidarité. Et on pourrait dire peut-être qu’à droite un met plus l’accent sur la singularité et pas sur la solidarité justement, ça passe après. Et du coup-là, voilà, il faut qu’à l’échelle de ce village on joue ça. Il faut qu’on articule la solidarité et la singularité. Et la singularité du coup c’est plus il y aura de personnes du village plus elle sera forte, plus il y aura de singularité, plus on sera dans un bain de singularité en quelque sorte. Alors en même temps y’a évidemment un côté utopique… Euh… voilà, on espère toujours que la démocratie, les décisions collectives ça marche, etc. Mais on sait très bien que ça va être une expérience, voilà.

 

Le philosophe « plutôt de gauche » dont parle Raphaël c’est Félix Guattari, il était en fait très à gauche et il aussi psychanalyste. La citation vient de son livre Les trois écologies. Raphaël résume ici assez bien le tâtonnement qu’il peut y avoir à mettre en place des formes d’utopie dans lesquelles singularités et solidarités trouveraient leur équilibre.

Comme Martine et Elise l'expriment juste avant, c'est un travail de diplomatie et d’attention aux liens sociaux qui permet d'œuvrer collectivement.

Anne-Laure, la directrice artistique de Simone met l'accent sur l'importance de l'altérité et sur les limites de se retrouver entre personnes qui pensent la même chose. 

 

[Anne-Laure] Mais ça pose bien la question de « c’est quoi une rencontre? » en fait, parce qu’assez vite quand il y a quelque chose à faire, un projet qu’il faut avancer, de l’énergie qu’il faut engager dans des trucs… euh… on peut pas juste rester dans de la rencontre où on passe son temps à se dire qu’on est bien entre nous, que c’est sympa, que c’est super. C'est-à-dire qu’il y a un truc… d’incarner ça dans de l’action, d’en faire quelque chose et de le vivre. Parce que sinon on finit par être dans ce truc où on est entre soi et à se dire qu’on est bien entre nous et puis « qu’est-ce qu’on a une vie intéressante nous » « qu’est-ce que on a raison de faire ce qu’on fait » enfin, tout ce machin-là où on peut être assez vite dans l’autosatisfaction de tout ce qu’on fait quoi…

 

[musique]

 

Le Quartier libre des Lentillères fait plein d'activités ouvertes à d'autres que les habitants et les habitantes. Il y a des fêtes, des concerts, mais aussi des marchés à prix libre : il y a le jardin des Maraîchères, dans lequel des personnes travaillent de manière volontaire toute l’année pour produire des légumes dans une parcelle du quartier. Les légumes sont ensuite vendus lors de marchés à prix libre. 

Ces marchés définissent des espaces non-marchands par l’application de prix libres. Les espaces non-marchands concernent la libre circulation des biens, ils se positionnent contre le capitalisme, la spéculation, l’individualisme, bref, tout ce qui définit aujourd’hui les espaces marchands. C’est aussi des espaces de mise en valeur d’autres manières d’entrer en relation et d’échanger des biens et des services. 

Pour Clément, le prix libre c’est une coutume importante du quartier des Lentillères.

 

[Clément] Y a une facilité, regardez, simplement rien que le concept du prix libre il n’est pas reconnu, enfin ça n’existe pas. C’est une convention ici, c’est une coutume, c’est quelque chose qui existe mais je ne sais pas dans quelle mesure vous verrez dans des textes de droit la notion de prix libre elle existe, elle peut être mobilisée y a pas… je sais pas on pourrait regarder mais c’est quelque chose que tu trouves nulle part ailleurs. Et ça, ça coordonne énormément de choses. C’est évident. Donc le fait que ça soit occupé permet de donner au moins cette impulsion-là, cette éthique, cette manière de faire qui permet d’autres choses. Ça s’est déployé dans le temps en dix ans, il y a des choses qui se sont consolidées. Y a des évidences qui se sont confirmées, d’autres choses qui ont peut-être disparu et que c’est le cœur, vraiment, d’une coutume. Moi je pense que c’est essentiel de le mettre en avant. 

Aux Lentillères, il y a des espaces et des temps dédiés à la gestion du compost, à la construction, à la rénovation, à la réparation des habitats. Ce n’est pas tout le monde qui fait tout en même temps, mais chacun et chacune participe, apprend et enseigne. Il y a des chantiers participatifs, des ateliers rap, des festivals qui sont tous des occasions pour mettre en commun des tâches, des savoirs, des outils, des ressources. On demande à Clément ce que ça représente pour lui, politiquement, un lieu collectif comme celui-ci :  

 

[Clément :] C’est pas qu’un lieu symbolique, c’est un lieu qui représente une manière de faire pertinente, balbutiante, assez petite, fragile, même si c’est, aux yeux de pas mal de gens, quelque chose qui a été arraché des mains des décideurs publics et que ça n’est pas anodin. C’est même rare des actions de cette échelle-là et à la fois c’est, politiquement, insuffisant si on voulait une transformation sociale plus globale etc. Donc moi je viens avec cette envie de participer à ça, parce que c’est un mode de vie qui m’intéresse : on est dans des espaces non-marchands, on privilégie des relations très directs et les médiations se font par l’entraide, l’échanges, voilà quoi. Et puis c’est la collectivisation de certaines tâches, la mutualisation des savoirs, c’est quelque chose de diffus, c’est une volonté d’essayer de casser les hiérarchies. C’est une tentative toujours. Il y aura toujours des espaces de polarisation où des gens seront détendeurs de plus de savoirs aussi bien dans la mécanique ou la technique que dans le champ du savoir politique et théorique mais en sachant que y a cette possibilité de l’agencer d’une manière plus diffuse.

 

La gestion d’un espace collectif, ou d’une mission collective, ça peut être difficile… Ce qui revient beaucoup au cours des entretiens c’est la question de la communication. Et c'est passionnant de découvrir toutes les solutions qui sont trouvées pour prendre soin des relations et de l'ambiance du collectif. Il y a énormément de méthodes, de tentatives, d'essais qui se font. On a pu en observer certains pendant notre voyage. Celles qu'on vous présente ici sont alors des possibilités parmi d'autres, on les a choisies parce que la manière dont nous en témoignent Marie-Hélène et Nolwenn, que vous allez entendre, peut vous donner une idée plus incarnée de ces méthodes. 

Marie-Hélène travaille dans une maison de quartier, avec ses collègues elle a mis en place un système pour que les enfants et adolescents puissent gérer leur émotion au sein du groupe. 

 

[Marie-Hélène :] Nous aussi on peut revoir nos pratiques parce que parfois on déborde et les enfants peuvent nous dire « là ça va pas ». Donc on a des fiches de réflexions. On a trois règles simples en fait, et on s’étale pas plus que ça en fait : quand on rentre à la maison de quartier on doit se laisser la parole, donc on a un truc pour se laisser la parole. On doit ne pas faire mal, ni avec les gestes ni avec les mots et on a le droit de prendre son stop. C’est-à-dire que si à un moment dans la maison de quartier y a un truc qu’on a pas envie de faire, on va pas aller enquiquiner personne parce qu’on veut pas le faire. Donc ça vaut aussi pour nous, en revanche on peut pas le prendre plein de fois. Si on le prend plein de fois et qu’on abuse, alors on doit remplir une fiche de réflexion. Donc là, si on s’est battu avec quelqu’un, qu’on a dit un gros mot et qu’on a pris quarante fois son stop, y a un petit endroit où on peut le dire ou avec des mots ou on peut dessiner ce qui s’est passé, comme un constat avec, voilà, constat d’accident de voiture là, ou cocher des petits bonhommes, on a plein de petits, de petits trucs pour dire ce qui s’est passé et puis surtout après on dit dans quel état on était et on trouve une réparation. C’est le principe, d’être responsable de son acte et pas de, voilà. Trouver la réponse qui est la plus adaptée à soi et surtout à celui d’en face. Donc nous c’est cool quand on se fait allumer par les mômes on ramène des bonbons ils sont trop contents… Donc l’idée c’est de trouver voilà, l’idée c’est pas simplement de s’excuser mais d’être vraiment attentifs donc on met aussi en place des activités de telle sorte qu’on puisse connaitre l’autre un peu mieux. Donc des choses autour des emblèmes voilà on travaille beaucoup autour de soi, des émotions, tout le spectre là comme ça des émotions, arriver à les décoder, à les déchiffrer. Voilà, on est vraiment plutôt là-dessus. 

On a acquis une certaine confiance, c’est aussi ça, à… à gagner en confiance pour réussir à s’exprimer, à dire vraiment ce qu’on ressent, et là les habitants avec lesquels on bosse c’est vraiment compliqué et pour les animateurs aussi. Parce que se mettre à ce niveau-là ça veut dire un peu euh … toutes ces compétences qui ont été gagnées, c’est presque un peu se dire que, il faille un peu les envisager autrement. Ou en tout cas c’est, affirmer, voilà, comme le dirait euh Spiegel, affirmer sa fragilité et ça c’est chouette. 

Marie-Hélène est fan de Jo Spiegel. C’est un homme politique qui a été maire de Kingersheim, dans le Haut-Rhin, entre 1989 et 2020. Il a été membre du Parti socialiste puis de Place Publique. Marie-Hélène nous a surtout parlé de sa manière de pratiquer une « démocratie de la construction » à Kingersheim. On vous met les liens en description.  

Un peu plus loin dans notre entretien, Marie-Hélène poursuit sur l’implication des habitants et des habitantes aux projets de la maison de quartier : 

 

[Marie-Helene :] On propose aux gens d’être acteurs, Là on leur demande d’être auteurs, donc ça veut dire que voilà, quand tu disais que nous il fallait qu’on en mette aussi un peu, que nous on est aussi dans la réciprocité, bah évidemment ! Puisqu’il faut lâcher sa compétence d’auteur, parce que nous on était là-dedans, on était des supers, on avait des superpouvoirs, on était des super héros hein! Moi avant j’arrivais dans le quartier, y’a même une dame une année - c’est là où ça a commencé à aller mal pour moi, où j’ai vraiment réfléchi, je me suis terrée trois mois dans un canapé, j’ai choisi des lectures que j’avais chez moi et j’ai choisi mon camp et clairement je voulais plus de ça - cette dame elle s’était arrachée la moitié des cheveux de sa tête, la moitié était complètement euh, en panique parce que je partais. Et euh, là pour moi ça a été affreux, je voulais vraiment pas que les gens dépendent de moi, donc ça m’a posé un gros cas de conscience parce que je venais de me rendre compte que j’avais foiré complètement ce pour quoi j’étais là. Alors je faisais tout ce qu’il fallait pour encourager l’autonomie et tout mais finalement ça ne suffisait pas.

 

Dans ce que nous raconte Marie-Hélène, la confiance et le principe d’horizontalité nous semblent forger une base sécurisante pour la communication des ressentis. 

À Hameaux Légers, les équipes travaillent aussi beaucoup pour optimiser leurs échanges et communiquer dans des cadres bienveillantes. Pendant notre séjour, on a pu assister à quelques-unes de leurs réunions. Ça nous a permis d'observer le travail et les efforts de chacun et de chacune pour que les réunions soient fluides, agréables et utiles. Nolwenn nous parle des cercles de parole et d'écoute que l'association pratique. 

 

[Nolwenn :] Je pense qu’il y a des choses qui marchent très bien dans ce qu’on met en place. Notamment les cercles de parole et d’écoute qui permettent vraiment un temps de régulation une fois par semaine le dimanche soir. C’est vraiment un moment où on se pose tous ensemble et où tour à tour on peut prendre la parole pour célébrer les choses qu’on a vécu, faire le deuil des choses qu’on aurait aimé et qui ne se sont pas passées, se projeter dans la semaine qui arrive, prendre un peu des engagements vis-à-vis de nous-mêmes, enfin des choses qu’on aurait envie de faire, voilà partager notre état d’esprit ou émotionnel du moment. Ou déposer des choses de notre passé… Et c’est vraiment un temps qui permet de se relier de manière assez fine les uns aux autres et c’est un temps qui permet d’avoir la température émotionnelle des membres du collectif et de pouvoir très bien… comment dire… avoir la juste distance entre les l’état dans lequel est la personne et ne pas le prendre pour soi parce que voilà on sait aussi que c’est lié à un contexte émotionnel qu’elle est en train de vivre. Et ça c’est vraiment quelque chose qui fonctionne très bien. 

 

Les cercles de parole et d’écoute, ça consiste à s’installer dans un cercle où la parole est prise par une seule personne à la fois, les autres reçoivent cette parole sans interrompre et sans répondre. Ce qui est dit n’appelle pas à une réponse, juste à une écoute. Il n’y a pas de tours, chacune, chacun, parle ou pas selon son envie. Il existe des cercles pour commencer ou conclure un évènement, pour aborder un sujet en particulier, etc. 

 

Nolwenn revient sur sa première expérience d’un cercle de parole, dans le collectif d’Hameaux Légers qu’elle rencontre « en chair et en os » pour la première fois : 

[Nolwenn :] Je suis arrivée le premier jour en Bretagne à Lancieux, cercle de parole. C’était rigolo ! Mais du coup ça a vraiment été une découverte assez folle quoi. Je me suis fait la réflexion, c’est la première fois de ma vie où on était 10 en cercle et où le silence pouvait ne pas du tout être pesant par exemple. Y a une sorte d’intuition du tempo des autres je sais pas comment dire mais ce truc spontanément, je sais pas si vous avez déjà jouer à The Mind mais c’est un peu ça, où spontanément on va laisser un peu de temps quand quelqu’un a confié quelque chose un peu lourd ou alors au contraire ça va s’enchainer très vite quand c’est des petits passages joyeux et c’est marrant… ouais cette intuition du groupe et c’est très cool. Et en fait je crois que j’ai découvert aussi ce qui est très spécifique dans un cercle de parole et d’écoutes c’est qu’on vient déposer quelque chose mais qu’on n’a pas de retour. On n’attend pas un regard, un coup de main, une réponse. Ça je trouvais ça assez extraordinaire parce que moi j’aime pas particulièrement me confier parce que j’aime pas qu’on me donne des solutions... Du coup d’avoir juste un espace où on peut poser les mots qu’on veut sans être interrompu·e, sans que l’autre reformule et que ça convienne pas… ça a été un vrai soulagement et je pense que ça m’a beaucoup fait évoluer dans mon rapport à la vulnérabilité par exemple où en l’espace de 6 mois j’ai l’impression d’avoir beaucoup évoluée là-dessus en trouvant ces espaces-là. 

 

[musique]

 

On a demandé à Marie-Hélène pourquoi elle aimerait que le village devienne un vrai espace collectif de personnes qui agissent ensemble.

 

[Marie-Hélène :] Et pourquoi, ben pour, pour redonner ici le pouvoir aux habitants, pour que chacun ici ait sa place, entretienne le vivant et… Et parce que y’a une espèce de sentiment de liberté au village. Moi je l’explique pas hein, tous les gens qui viennent ici souvent on se retrouve pour se dire que, y’a quelque chose qu’on a envie de conserver là. Alors je sais pas d’où ça vient, est-ce qu’il y a une âme qui est vraiment présente ? Ou plusieurs ? Plusieurs sans doute. Ya quelque chose qui fait qu’on a vraiment envie, moi quand je suis arrivée ici j’avais vraiment envie… de découvrir ce que chacun a comme compétences à mettre au service des autres, enfin… 

 

Au Quartier Libre des Lentillères, Clement voudrait que…

[Clément :] bah que les gens se sentent concernés, que ça puisse toucher, que ça, ça puisse servir de « modèle », que ça soit un modèle désirable. Y a des gens quand ils sont à l’extérieur ils ne savent pas trop quoi faire et qu’en venant ici se disent « wow mais c’est ça que je veux en fait ». C’est ce que je vous disais la propagande par le fait elle est simple c’est genre tu viens « ok ça ça se passe comme ça ». On a beaucoup de gens qui viennent, qui ont une sensibilité politique, qui ne savent pas trop et là tu viens et boum ça permet de faire exister quelque chose chez eux. Il y a souvent des gens qui vont vouloir rester. Y en a d’autres qui s’en inspirent et qui vont s’installer avec l’imaginaire du quartier. Le quartier n’a pas le monopole de cet imaginaire, Notre-Dame-des-Landes typiquement c’est la même chose à une autre échelle de territoire dans le monde rurale et agricole. Moi mon bail c’est de me dire dans quelle mesure politiquement on peut exporter ça. Ça doit être une force de proposition politique de transformation sociale plus globale.

 

[musique]

 

Par la recherche de méthodes, par l’échange de connaissances et de compétences et par l’expérience, ces collectifs que vous avez entendus ont gagné des expertises enracinées dans leurs environnements. 

On espère que ces différents témoignages vous inspireront pour penser, repenser et continuer de questionner le collectif. Dans le prochain épisode, on parlera de travail. 

 

[musique outro]

Vous venez d’écouter l’épisode Collectif du podcast Habiter.

Les extraits viennent d’entretiens menés par Anaëlle et Suzon avec Clément, Nolwenn, Martine, Elise, Raphaël, Anne-Laure, et Marie-Hélène.

Sélection des extraits et montage par Suzon, Script par Anaëlle et Suzon, La musique a été composée par Quentin Pancher. 

C’est Suzon qui a fait la voix off. 

Merci pour votre écoute. 

  • Facebook
  • Instagram
titre-site-instagram.png
bottom of page